L’odeur du pain

Mon ami Charles Naceur Aceval, un raconteur algerien a traduit ma petite histoire “L’odeur du pain” et il l’a combiné avec les mémoires des odeurs de son enfance. Un conte des odeurs aimées…

(inspirer de l´ouvrage de Stefan Hammel « Der Grashalm in der Wüste »)

Les odeurs ! Ah les odeurs de mon enfance ! Elles collent à mon âme. Parfums de mon pays, ma région, ma mère, ma grand-mère, ma terre natale. Toutes ses odeurs à jamais fixées en moi ont construit une bonne partie de ce que je suis. De toutes ses senteurs, je voudrai vous parler de trois d´entre elles. Celles que je fais revivre continuellement comme un rituel. Surtout parce qu’elles émanent de ma mère que je sens toujours à mes côtés. « Une personne ne meurt que lorsqu´elle est oubliée ! » dit un proverbe nomade.

La première est l´odeur du café.
Elle me renvoie à l’image de ma mère assise par terre en tailleur sur une peau de mouton, et torréfiant le café dans un torréfacteur cylindrique en aluminium. De temps en temps, elle prélevait un grain de café, le mettait dans sa bouche pour le croquer. C’était ainsi qu’elle évaluait la torréfaction. Une fois le café torréfié à point, elle nous donnait à ma soeur Nora et moi le petit moulin manuel à café. Et tour à tour nous tournions avec effort la manivelle qui nous renvoyait le doux bruit du grain qui s’écrasait pour tomber en poudre dans un petit tiroir au bas. Une fois le café moulu, ma mère prenait dans le creux de la paume de sa main une petite quantité de poudre, y ajoutait une pincée de sucre et d’un geste versait le petit tas dans sa bouche. C’était ainsi qu’avant la forme liquide, elle dégustait le café.

Ce n´est qu´après qu´elle mettait le reste dans le haut de la cafetière, la partie filtre, et passait l’eau frémissante qui laissait couler le café. Des effluves bien spécifiques embaumaient l’air et nos narines. Dans le Sni, plateau en cuivre, elle alignait les petites tasses et posait à côté, le Tbag, plat en alfa, garni de tranches de M´bessess (pain de semoule beurré et grillé). Nous nous régalions alors sous l’oeil tendre de notre mère.

Mon deuxième souvenir d’odorat est celui de l´encens.
Un véritable rituel mystique pour chasser le mauvais oeil et les mauvais esprits. Dans un braséro en terre cuite, maman allumait du charbon et lorsque la braise prenait elle y jetait une pincée d’encens. Puis tenant le braséro fumant dans les mains, elle se promenait dans toute la maison, pièce après pièce, elle encensait les lieux en marmonnant quelques formules en directions des esprits et des
invisibles de la maison. Sans oublier les toilettes, car c´est là que se trouvent les
mauvais esprits. Puis elle posait le braséro à terre, elle l’enjambait et demeurait
debout au-dessus, un pied de chaque côté. C’était alors que la fumigation se
réalisait sous sa robe pour une purification du corps par le bas. Un mystère que
cet acte magique et touchant à la personne même.

Enfin, l´odeur du pain.
C´est l´odeur du pain, qui convoque le plus de souvenirs liés à ma mère. C’est
ma « madeleine de Proust » ! Comme par magie l’odeur du pain chaud me
projette pour un voyage dans le temps et l’espace.

Dans mon enfance, nous avions souvent faim. Ce n’était pas la misère mais la
nourriture était rare et précieuse. Et l´odeur du pain pétri par ma mère et sorti
du four banal, annonçait le grand régal. Le pain est un symbole sacré dans
plusieurs cultures et en Algérie, on l’aimait et le respectait. Pas une miette ne
se perdait, et surtout, ô sacrilège, ne se jetait !

Lorsque la tristesse me submerge, lorsque rien ne se passe, rien ne bouge,
lorsque le temps s´arrête, je prépare un pain et l´odeur se propage dans tous
les recoins de la maison. Là, comme par enchantement, tout devient vivant. Un
sourire sur les lèvres, une larme sur la joue, je revis et ma mère revient à mes
côtés.

Une histoire me revient. Une histoire qui a le parfum du feu de bois. Au temps
où la modernité et l´électricité n´avaient pas atteint les campagnes. Dans un
petit village vivait un boulanger seul avec sa femme. Son pain était apprécié de
tous, et même les gens des villages avoisinants n´hésitez pas à faire un long
chemin pour acheter le bon pain.

Un jour le boulanger dit à sa femme :

  • Les années passent vite. Un jour, je n´aurais ni la force de porter les
    lourds sacs de farine, ni celle de pétrir une grande quantité de pâte. Si
    Dieu nous avait donné un fils, j´aurais pu lui transmettre l’art et l’amour
    du métier.

Sa femme répondit :

  • Toi qui es généreux et bon comme ton pain, prends un jeune homme et apprends-lui ton savoir-faire. Ainsi, le jour où tu ne pourras plus travailler, ton pain continuera à faire le bonheur des familles.

Après que la nouvelle soit répandue dans le pays, quatre jeunes garçons se présentèrent chez le boulanger. Ce dernier ne savait lequel des quatre choisir. Il demanda conseil à sa femme qui lui dit :

  • Envois-les moi à la boulangerie et je te dirai lequel tu prendras comme apprenti.

Ainsi, fut fait. La femme du boulanger posa alors une question au premier jeune :

  • Pourquoi veux-tu devenir boulanger ?

Il lui répondit :

  • J´aime bien me lever à l´aube et aller au lit de bonne heure. Ainsi je suis le premier à apprendre les nouvelles du jour.

Au second, elle posa la même question. Celui-ci expliqua :

  • J´ai l´intention de me marier prochainement et faire des économies pour une vie nouvelle.

Le troisième répondit :

  • Etre boulanger c´est un métier sûr.

Lorsque le quatrième pénétra, avant même qu´elle ne lui posa la question, elle dit à son mari :

  • C´est lui qui sera un jour ton successeur.

Etonné le boulanger demanda :

  • Comment le sais-tu, tu ne lui as même pas posé une question ?

La femme expliqua :

  • C´est simple, lorsque ce jeune garçon a franchi le seuil du moulin, un court moment il a fermé les yeux et humé l´odeur du pain.

Ainsi pour moi l’odeur du pain, est devenue un monde où toutes les odeurs renvoient à la mémoire de l’âme. Et la mémoire est le bien précieux de chacun, celle que personne ne volera à personne et cela jusqu’au jour dernier. Personnellement, ces parfums sont ma mémoire et ma mémoire aide mon être à voler par l’odorat sur les ailes du temps et de l’espace.

Mon bonheur est de ces petites choses qui comme le soupirail de Rimbaud donnent à rêver.

Je suis un orphelin heureux car je peux jouir des produits d’où viennent mes odeurs et revivre ces moments heureux avec ma mère.

Aceval Charles

Terminé!

« Terminé! » , cria l’œuf quand il fut pondu. « Maintenant terminé! » , cria le tétard quand il fut sortie de l’œuf. « Maintenant je suis au complet! », cria la créature quand elle eut deux pattes. « Je suis enfin au complet de la tête aux pieds! » , cria l’être, quand il eut quatre pattes et une longue queue. « Qui sait ce qui va désormais encore se produire… » , dit la grenouille quand elle fut terminée.

Le loup de mer et le loup de terre

Un jour, le loup de mer reҫu la visite du loup de terre. Les deux se connaissaient déjà depuis l’école des loups. Le loup de mer avait parcouru le monde et vécut beaucoup d’aventures et il rentra chez lui riche de trésors et d’expériences. Le loup de terre était resté chez soi dans sa tannière. Il rencontra une louve de terre et eut des louveteaux de terre. Et maintenant, il a beaucoup de petits-louveteaux et des arrière-petits-louveteaux, et tous sont devenus de vrais, bons loups de terre.

«Parfois j’aimerais refaire ma vie», dit le loup de terre au loup de mer. «C’est la même chose pour moi», dit ce dernier. «Je ferais beaucoup de choses différemment», dit le loup de terre. «Oui, moi aussi», répondit le loup de mer. «Je naviguerais les océans», rêva le loup de terre. «Je me marierais», soupira le loup de mer. «Je vivrais des aventures», expliqua le loup de terre. «J’aurais des louveteaux», dit le loup de mer. «Je serais un loup de mer riche. J’aurais vécu des expériences  périlleuses et magnifiques, dont je pourrais raconter les histoires», dit le loup de terre avec enthousiasme. «Moi, j’aurais des petits-enfants et des arrière-petits-enfants qui m’aimeraient et qui s’occuperaient de moi quand je serais vieux et malade», assura le loup de mer.

«Et ce serait moi qui serait maintenant assis avec toi dans cette tannière de loup de mer», continua le loup de terre, « …et moi avec toi… », rajouta le loup de mer. Le loup de terre hocha la tête : «Et puis maintenant tu me dirais : “Parfois, j’aimerais bien refaire ma vie” et moi, je répondrais : “Oui, c’est la même chose pour moi.”»

Le village de montagne

J’ai demandé à un client : « Si vous voulez, imaginez-vous une fois votre vie comme un village de montagne, dans lequel le fleuve a débordé et a amené beaucoup de boue et d’éboulis. Après ce malheur le conseil municipal se réunit avec les villageois, les pompiers et la protection civile et ils discutent de ce qui est à faire. Il arrive tout d’abord des gens avec des pelleteuses, des bulldozers et des camions pour enlever le plus gros des éboulis. Pouvez-vous vous imaginer cela ? » « Oui. » « Vous pouvez voir comment ils déblaient tout ça. Après l’équipe de rangement il arrive des gens avec des tuyaux et des balais. Ils enlèvent toute la boue et le sable du village, toute cette saleté qui est venue de l’arrière-pays. Vous pouvez voir comment ils font tout couler vers le bas dans la vallée. Vient ensuite l’équipe des artisans. Il y a des maçons, des plâtriers, des peintres, peut-être aussi des électriciens, des installateurs, des stucateurs, des restaurateurs. « Que font-ils d’après vous ? » « Ils peuvent plafonner ou cloisonner. » « Exact. Quoi d’autre ? » « Poser une moquette. Câbler. Placer des tringles à rideau. » « Exact. Après les artisans arrivent les jardiniers. Ils aménagent de nouveau les parcs et les jardins. On rajoute peut-être un puits au village ou un tilleul au village pour améliorer encore plus le village, pour qu’il soit mieux qu’avant. Et un monument commémoratif. Peut-on imaginer cela ? » « Pas très bien. » « Eh bien, vous n’avez pas besoin de vous imaginer tout ça. Dites bonjour à votre âme, pour qu’elle fasse ça pour vous, comme ça vous n’avez pas à vous en occuper. Après il y a des personnes très importantes qui arrivent. C’est l’équipe de prévention. Ce sont eux qui veillent à ce que cela n’arrive plus. Ils peuvent planter la pente au-dessus du village par exemple, pour que les racines des arbres fixent la terre. Ils peuvent construire des murs et des grillages dans le style d’un paravalanche. Ils peuvent creuser un lit plus profond pour le ruisseau, peuvent construire des marches de barrage et des bassins de retenue ou même une déviation pour l’eau du ruisseau qui est de trop. »

Après la vague

Quelqu’un m’a écrit : »J’ai été chargé de préparer un séminaire d’aide à soi-même ayant pour sujet « l’angoisse ». Tous les participants souffrent d’une épilepsie. Auriez-vous quelques idées sur les histoires que je pourrais y raconter ayant pour sujet l’imprévisibilité des crises et la détresse qui y est liée ? »

Ma réponse fut la suivante : »Je propose que vous racontiez quelque chose sur les habitants de quelques villages sur la côte ayant survécu au grand tsunami il y a quelques années. Ils ont été pour ainsi dire des témoins qui s’en sont sortis avec plus de peur que de mal. Les habitants d’un village ont toujours regardé la mer avec les nerfs à vif en attendant la grande vague suivante. Ils ont organisé toute leur vie de manière à y être préparés. On pourrait dire aussi qu’ils ont gâché toute leur vie avec cette préparation. Et la mer était presque toujours calme… Les habitants d’un village voisin y ont vécu presque comme si rien ne s’était passé. En abordant les dangers de la mer ils disaient : « Si nous partons, nous partons. Mais maintenant nous sommes là, complètement. » Et il y avait d’autres villages … Vous pouvez dessiner une carte sur un tableau à feuilles mobiles sur lequel ces villages sont représentés. Demandez aux participants de vous dire dans lequel des deux villages ils veulent vivre, ou comment vivent les habitants dans un troisième et quatrième village, ou alors où les participants du séminaire si ça se trouve aimeraient mieux vivre. Demandez aux participants ce que signifie ce contact souhaitable avec la mer, à quoi on le reconnait et à quoi est dû le fait que les villageois mènent une vie d’assez bonne qualité malgré l’ancien tsunami. Vous pouvez demander aux participants de dessiner d’autres villages pour d’autres comportements avec la mer qui est rarement sauvage et dans la plus part des cas calme. Vous pouvez demander aux participants de dessiner le comportement avec la mer sur la carte ou, si la carte est placée au sol, de le marquer avec des maisons de Monopoly. Il serait aussi possible de marquer le site actuel avec le comportement d’une mer qui est rarement sauvage et la plus part du temps calme et de marquer le site souhaité et de réfléchir pour savoir qui et quoi peuvent les aider à déménager du domicile A vers B. »

La respiration agréable

Une amie m’a appelée. Elle respirait extrêmement vite et de manière agitée et ne pouvait prononcer que quelques mots à la fois. Sa voix avait un drôle de son. Elle raconta que sa fille venait d’avoir un accident de voiture avec son bébé sur le siège arrière. Le bébé n’avait rien eu mais le SAMU avait transporté sa fille à l’hôpital car ils craignaient une fracture de la base du crâne. Elle-même avait dû rester où elle était ; elle devait garder le bébé et n’arrivait pas à savoir ce qui se passait avec sa fille. J’ai alors commencé à respirer et à parler de la même façon qu’elle et au bout d’un certain temps j’ai changé de rythme et ai ralenti peu à peu ma respiration et ma façon de parler. J’ai remarqué qu’elle me suivait instinctivement dans mon comportement et qu’elle se calmait. Sa voix sonnait claire et forte et ce qu’elle racontait maintenant sonnait plus positif qu’au début de la conversation. « Je te remercie de la façon dont tu m’as parlé », ont été ses mots quand elle termina la conversation.

L’interrupteur d’arrêt d’urgence

« Vous travaillez avec la méthode de l’hypnose ? », m’a demandé l’homme. « Alors vous pourriez tout simplement enlever-hypnotiser mon problème ». Il rigolait. Sa femme l’avait amené, il n’avait pas une grande envie de faire une thérapie. Je lui ai demandé « Quelle est votre problème ? ». « Il m’a frappé » a répondu la femme qui était assise à côté de lui. « En plus à ce moment-là j’avais notre fils sur les bras. » « C’était comme si quelqu’un avait appuyé sur l’interrupteur d’arrêt d’urgence » a-t-il dit. « Ca a été une réaction automatique. Cela n’aurait jamais dû arriver ». « Vous n’avez pas besoin d’être hypnotisé » ai-je répondu. « Vous pouvez faire ça vous-même. Est-ce que vous connaissez ces boîtes en verre rouges qui pendent dans les hôpitaux et les édifices publics avec un interrupteur qui déclenche une alerte incendie ? » « Bien sûr » a dit l’homme. « « Pourquoi y-a-t-il un verre devant ? « « Pour qu’on ne la déclenche pas par erreur ». « Et si on prenait une vitre très fine comme une lame porte-objet pour un microscope ? » « Elle casse quand on se cale contre ». « Qu’en est-il du verre blindé ? » « C’est trop épais. » « Réfléchissez à l’épaisseur pour que votre femme ne puisse pas la défoncer. Regardez cette vitre et mettez-la en place. »

Le gramophone

J’ai un phonographe à la maison. J’y fais passer des chansons comme « Nur nicht aus Liebe weinen » – Seulement ne pas pleurer à cause de l’amour et « Ich weiß, es wird einmal ein Wunder gescheh’n » – Je sais qu’il y aura un miracle un jour. Zarah Leander chante ça avec sa voix basse – c’est magnifique ! Puis j’écoute la voix de corbeau de Louis Armstrong, et pour moi c’est une rencontre avec lui-même, avec lui tout personnellement. J’écoute Caruso, il chante avec son vibrato depuis la nuit des temps : « O sole mio… ». Leurs voix volent vers moi des rainures du disque, sans électricité. Elles arrivent vers moi comme les voix de ces personnes même. Quand leurs voix retentissent du pavillon, les chanteurs sont des hôtes dans mon temps. Je les rencontre dans la même pièce. Puis le gramophone se tait, leurs voix retournent dans cet autre monde séparé du notre, là où habitent les anciens possesseurs de ces voix.

Des pieds engourdis

Un jour d’hiver alors que tu as fait une longue randonnée, il peut arriver que tu ne sentes plus tes pieds. Et au début quand tu arrives au chaud tes pieds sont encore engourdis. Peut-être les poses-tu sur un radiateur – ce qui est bizarre c’est qu’ils commencent juste à faire mal une fois que le froid est passé et non avant dans la glace et la neige. Un fou pourrait dire : je ne décongèle pas mes pieds alors ils ne font pas mal. Pourtant celui qui a de l’expérience sait : La chaleur endolorit les pieds froids seulement un moment. Il faut dépasser cette phase. Une fois la douleur surmontée on passe à un moment de chaleur agréable.